#ActForHumanity avec Philippe
Ginana Philipe sur la sécurité des défenseurs des droits humains et des journalistes au Soudan du Sud
« La sécurité des défenseurs des droits humains et des journalistes est primordiale, et notre travail est guidé par la nécessité d’équilibrer plaidoyer et protection. »
Rejoignez-nous pour une conversation avec Ginana Philipe, spécialiste principale de la protection de NP au Soudan du Sud, dans le cadre de notre série pour Journée mondiale de l'aide humanitaire 2024Philipe a partagé ses idées sur le rôle essentiel de la littératie numérique dans ce domaine de travail vital, ainsi que sur les défis et les stratégies employés par son équipe.
Q : Philipe, pouvez-vous commencer par nous parler un peu de votre parcours et de ce qui vous a conduit à ce métier ?
Bien que je sois né au Soudan du Sud, j'ai passé la majeure partie de ma vie en Ouganda, où j'ai terminé mes études et obtenu mon diplôme avant de retourner au Soudan du Sud en 2011, juste avant que le pays n'accède à l'indépendance. Mes racines se trouvent dans l'État d'Équatoria occidental du Soudan du Sud.
Ma carrière est étroitement liée aux droits de l’homme. Je me définis comme une militante des droits de l’homme et une avocate, axée sur le plaidoyer et la protection. Mon parcours dans le travail humanitaire est motivé par un profond engagement à sauver des vies et à créer des espaces sûrs pour les autres. Dès le début, j’ai ressenti un fort sentiment de devoir servir l’humanité, ce qui m’a guidé tout au long de ma carrière.
Bien que j’aie exploré d’autres parcours professionnels, aucun ne correspondait autant à mes valeurs, mes aspirations et mes objectifs que le travail humanitaire. J’ai été attirée par ce domaine parce que je voulais avoir un impact direct et significatif, notamment en faisant progresser les droits et en garantissant la sécurité des personnes dans le besoin. Depuis 2011, je fais partie du monde humanitaire, au service des personnes à divers titres. En 2017, j’ai commencé à soutenir les défenseurs des droits de l’homme, en contribuant à leur sécurité de diverses manières, notamment par l’éducation numérique.
Ma préoccupation pour la protection des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes est ancrée dans une conviction profonde : défendre et protéger les plus vulnérables. Je suis animée par le désir de créer des environnements plus sûrs où les individus et les communautés peuvent s’épanouir, ce qui m’a amenée à occuper divers postes dans le domaine de la protection humanitaire. Mon objectif est de veiller à ce que ceux qui œuvrent pour la défense des droits de l’homme puissent le faire sans courir de risques excessifs.
Q : Que signifie pour vous être un humanitaire, notamment dans le contexte de la protection de ceux qui protègent les autres ?
Pour moi, être un humanitaire signifie se consacrer au service des autres, s'efforcer de sauver des vies et créer un environnement sûr pour ceux qui travaillent également pour faire la différence. Il s'agit de faire avancer des causes qui promeuvent la vie et la dignité sous toutes ses formes. Bien que beaucoup de gens pensent que le travail humanitaire se limite à fournir de la nourriture, de nombreuses petites actions peuvent avoir un impact significatif.
Le métier d’humanitaire ne se limite pas à l’aide d’urgence : il implique de défendre et de protéger les personnes dans le besoin. Cet engagement est crucial pour les défenseurs des droits humains, qui sont souvent confrontés à des risques importants lorsqu’ils œuvrent pour faire progresser les droits et la dignité.
Chaque action, qu'elle soit grande ou petite, contribue à sauver des vies et à favoriser un environnement sûr. Il s'agit d'un engagement profond envers l'humanité sous toutes ses facettes.
Q : L’alphabétisation numérique devient de plus en plus importante dans le travail humanitaire, en particulier pour les personnes en situation de vulnérabilité comme les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes. Comment abordez-vous l’alphabétisation numérique pour protéger ces personnes ?
Dans le paysage technologique actuel en constante évolution, il est essentiel de rester à jour en matière de culture numérique. Ce que nous avons appris hier peut rapidement devenir obsolète. Il est donc essentiel d'apprendre et de s'adapter en permanence. La culture numérique n'est pas quelque chose que l'on apprend une fois pour toutes et que l'on oublie ensuite ; elle nécessite des mises à jour continues pour suivre le rythme des nouveaux développements. Par exemple, les outils logiciels sur lesquels nous comptons aujourd'hui pourraient devenir obsolètes demain. C'est pourquoi nous nous tenons informés en collaborant avec des partenaires régionaux et internationaux. Ils nous fournissent les dernières mises à jour et informations, garantissant ainsi que nos efforts de protection restent efficaces et pertinents.
Notre approche implique une formation continue sur les outils numériques, le chiffrement et les nouvelles menaces pour protéger les informations sensibles et maintenir la sécurité dans l'espace numérique. Le principe clé est de veiller à ce que nos mesures de protection évoluent en tandem avec les avancées technologiques pour soutenir efficacement ceux que nous souhaitons protéger.
En outre, nous proposons des formations spécifiques aux journalistes en partenariat avec le Réseau des défenseurs des droits de l’homme du Soudan du Sud et l’Union des journalistes du Soudan du Sud. Nos sessions sur mesure couvrent un large éventail de sujets, notamment la sécurité numérique (par exemple, comprendre son empreinte numérique et comment les informations en ligne peuvent être utilisées), les pratiques de communication sûres (comme le partage d’informations via des services cryptés afin que tout le monde ne puisse pas accéder aux messages sur des affaires sensibles) et le journalisme sensible aux conflits (par exemple, comment rapporter des informations exactes et vérifiées, éviter l’escalade de la violence et faire face aux discours de haine). En combinant leur expertise avec nos stratégies de protection, nous garantissons que les journalistes et autres défenseurs des droits de l’homme sont bien équipés pour faire face aux menaces physiques et numériques.
Q : Les compétences traditionnelles ou intuitives jouent-elles un rôle dans la culture numérique et la sécurité ?
Bien sûr, la sagesse traditionnelle joue toujours un rôle important dans la culture numérique. Par exemple, de nombreuses personnes savent intuitivement que des informations sensibles peuvent être utilisées contre elles, même avant d’utiliser des outils numériques. Nous nous appuyons sur cette intuition en l’étendant à l’espace numérique, en conseillant aux gens de ne pas partager certaines informations en ligne et de faire preuve de prudence générale.
Q : Existe-t-il des tensions entre le travail en faveur des droits de l’homme et les efforts de protection, en particulier lorsque les défenseurs des droits de l’homme doivent se faire entendre alors que les stratégies de protection peuvent nécessiter plus de prudence ? Comment gérez-vous ces défis ?
Il s’agit là d’un véritable défi. En matière de protection, la passion des défenseurs des droits humains peut parfois les amener à résister aux mesures de sécurité, notamment en période de risque accru. Nous abordons ce problème en expliquant que ces mesures ne visent pas à les réduire au silence, mais à atténuer les menaces immédiates. En fin de compte, notre objectif est de les aider à trouver un équilibre entre leur désir de poursuivre leur important travail et la nécessité de les protéger efficacement. Un défenseur des droits humains en sécurité peut poursuivre son plaidoyer bien mieux qu’un défenseur qui se met en danger en ignorant les consignes de sécurité.
Des tensions peuvent également surgir en matière de non-violence ou d’autres tactiques. Nous sommes très clairs sur le fait que nous soutenons uniquement ceux qui défendent les droits de l’homme de manière pacifique et non violente. Par l’éducation et le dialogue, nous cherchons à éloigner les militants des approches violentes et à souligner l’importance de la paix pour atteindre les objectifs des droits de l’homme. Cette distinction nous aide à maintenir notre engagement en faveur de la non-violence tout en soutenant un travail efficace en faveur des droits de l’homme. Heureusement, la plupart des personnes avec lesquelles nous travaillons comprennent la valeur de la non-violence, surtout après nos discussions.
Q : Qu'est-ce qui vous motive ?
Ma motivation vient du fait que je constate l’impact tangible de notre travail : je vois comment nos efforts font progresser les droits et créent des espaces plus sûrs pour le plaidoyer.
J'ai formé en moyenne 120 militants des droits de l'homme et journalistes chaque année, en étendant ce renforcement des capacités au-delà de Juba vers des villes du Soudan du Sud, notamment Yei, Mundri, Yambio, Rumbek, Wau, Kuajok, Aweil, Nimule, Torit et Bor. J'ai notamment contribué à faire venir des défenseurs des droits de l'homme à Juba pour des formations lorsqu'il n'était pas possible d'organiser des sessions dans leurs localités.
Savoir que nous contribuons à sauver des vies et à assurer un espace pour que d’autres puissent s’épanouir est profondément gratifiant. Malgré les défis et les risques, cela renforce mon dévouement dans ce domaine, me poussant à accomplir ma mission et à faire une différence positive dans la vie de ceux que nous servons.