Un chemin pour l’eau : sur un îlot, l’organisation devient protection

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Îlot près de Kalehe, Sud-Kivu – RDC
En janvier 2025, l'avancée rapide du groupe armé M23/AFC au Sud-Kivu a perturbé le fragile équilibre de la région. Les centres urbains – Kalehe, Goma, Bukavu – ont sombré les uns après les autres dans l'incertitude. Les forces de l'État se sont rapidement retirées et les lignes de front ont commencé à se déplacer sans prévenir. Comme d'habitude, les civils ont payé le prix fort, confrontés à la violence, aux pillages, au recrutement forcé et à une peur et une confusion permanentes.
Alors que les combats se rapprochent, des milliers de familles fuientCertains ont cherché refuge dans les forêts, d'autres ont tenté de rejoindre Bukavu ou ont traversé vers les pays voisins. Mais faute d'alternatives, beaucoup se sont réfugiés sur les îles du lac Kivu, au large de Kalehe. Situées loin des routes principales et des forces armées, ces îles sont devenues des zones de survie essentielles. Cependant, ces zones manquent d'infrastructures de base, notamment de sources d'approvisionnement en eau.
C’est sur l’un de ces îlots qu’une communauté déplacée a mis en place, sans aide extérieure, une approche de protection simple et exemplaire : sécuriser collectivement l’accès à l’eau.
L’unique source d’eau potable est située à une distance significative de la zone d’habitation. Le chemin n’est pas dangereux en soi – mais il est incertaincomme tout ce qui entoure ces communautés déplacées. On ne sait jamais qui on peut croiser. Pour pallier cette insécurité, les habitant·es ont convenu ensemble d’un système de “corridor humanitaire communautaire” – un mot bien grand pour une pratique très pragmatique.
À quoi ressemble leur corridor humanitaire communautaire ?
Chaque jour, à des heures prédéfinies, un petit groupe d’hommes part en éclaireur. Ils marchent jusqu’à la source, observent, évaluent. Si la situation semble calme, ils reviennent chercher les autres. Les femmes, les enfants, les personnes âgées partent alors vers la source d’eau, accompagnées par les mêmes hommes. D’autres se positionnent volontairement à intervalles réguliers le long du trajet, assurant une forme de présence protectrice jusqu’à ce que toutes et tous soient rentrés sains et saufs.
Leur système n'est ni formel ni réglementé. Il repose sur l'écoute mutuelle, la confiance et l'engagement à ne pas exposer les membres les plus vulnérables de la communauté. Il est né d'un consensus tacite, fruit des apprentissages partagés par la communauté en temps de crise.
Une approche similaire a été intégrée à d'autres pratiques. De retour à Kalehe, les femmes ne se rendent plus seules au marché. Elles partent en petits groupes, accompagnées de deux ou trois hommes de leur famille ou de leur entourage proche. La simple présence visible de ces hommes permet d'éviter le harcèlement et l'intimidation. Ici, la protection prend forme au sein des ménages et des communautés.
Ces pratiques quotidiennes reflètent une compréhension intuitive de ce qu’est la protection des civils non armés : veiller les uns sur les autres, rester attentif aux menaces et utiliser une présence physique non armée pour prévenir les dommages.
Et pourtant, malgré leur efficacité relative, ces efforts montrent aussi leurs limites. Aucun outil formel d’alerte précoce. Aucun lien avec des mécanismes de réponse plus larges. Aucune formation pour faire face aux risques évolutifs. Aucune ressource pour accompagner les personnes les plus exposées — femmes isolées, personnes handicapées, mineur·es non accompagné·es.
Ces communautés déplacées ne demandent pas qu’on agisse à leur place. Elles montrent qu’elles savent s’organiser. Mais ce qu’elles construisent à mains nues pourrait être amplifié, structuré, pérennisé.
Ce que l’Intervention Civile de Paix peut offrir ici, ce n’est pas de remplacer, mais de consolider : Un cadre pour renforcer la coordination entre groupes d’îlots ; Des outils partagés d’analyse des risques et réponse collective ; Une reconnaissance institutionnelle des efforts communautaires pour influencer les réponses humanitaires ; Et surtout, un accompagnement dans la durée – pour que ces pratiques de solidarité perdurent et se transforment en formes de protection communautaire résilientes, transmissibles et autonomes, capables de s’adapter en cas de n vagues d’incertitude. en cas de nouvelles vagues d’incertitude.
En cette période d’instabilité, ces communautés ne se contentent pas de survivre. Discrètement, elles redéfinissent ce que protection veut dire – ensemble.